Dominicale de l’épiphanie 2024
Cherchez votre étoile et manifestez-vous ! ou « Le ravi et les Rois mages »
Peut-être que beaucoup d’entre vous ne connaissent pas la signification de l’Epiphanie, cette fête à l’occasion de laquelle nous partageons des gâteaux des rois. Jésus est né dans une étable. Alors que ses parents avaient été rejetés de toute part, des bergers, « qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux »(1), se « hâtèrent » d’aller découvrir ce nouveau-né et ses parents, Marie et Joseph.
Peu de temps après des mages arrivés d’Orient, cherchaient « le roi des Juifs qui venait de naître » et ayant « vu son étoile à l’orient » (2) sont venus se prosterner devant lui. Ainsi, Jésus, fils de Dieu, s’étant d’abord fait connaître par les plus pauvres, (les bergers), se manifestait au monde entier à travers ces mages, qui n’étaient ni rois, ni magiciens, mais des scientifiques qui scrutaient le ciel, à la recherche peut être d’autre chose que des découvertes astronomiques. Épiphanie, vient d’un mot grec qui signifie « manifestation » ou « apparition », mot dérivé lui-même d’un verbe se traduisant par « se manifester » ou « apparaître » ou encore « être évident ». Jésus s’est manifesté au monde pour que chacun puisse le reconnaître, puis témoigner et se manifester à son tour dans le monde !
Quel rapport me direz-vous avec un discours sensé vous présenter mes vœux ? Tout simplement parce que c’est ce que je vous souhaite pour cette nouvelle année. Il y a quelques temps, dans d’autres circonstances, face aux abominations, à la cruauté, à la barbarie et face aux réseaux d’information qui nous enferment dans ce climat-là, je vous suppliais de prendre le pouvoir sur vos vies, dans vos vies. Aujourd’hui, en ce début d’année 2024, je vous souhaite de vous manifester. Non pas de « manifester », mais de « vous manifester » !
Qu’ont fait les bergers et les mages, après avoir vu l’enfant Jésus, le sauveur du monde ? « Ils racontèrent ce qui leur avait été annoncé » (3) et « ils annoncèrent les exploits du Seigneur » (4) Ils témoignèrent de cette Bonne Nouvelle. Ils se manifestèrent à leur tour autour d’eux.
Vous êtes des élèves de religions diverses, et certains ne se reconnaissent dans aucune. Mais vous avez en commun d’être élèves de Lacordaire, d’avoir choisi un lycée pour ses vertus, et pas uniquement pour ses résultats scolaires. Nous vous invitons régulièrement à regarder plus haut que vos pieds ou que votre nombril, à chercher une étoile qui pourrait vous guider, à regarder à côté de vous d’autres chercheurs d’étoiles. Vous avez une chance inouïe d’appartenir à cette famille lalcordairienne. Alors puisez-y la force d’aller vers les autres, d’agir dans le monde, de témoigner de la beauté des choses.
Je ne suis ni un mage, ni le ravi de la crèche. Vous connaissez le « ravi » que l’on présente souvent comme le « benêt », un faible d’esprit toujours content. Je sais très bien que le monde est parsemé de guerre, de crimes, d’atrocités et pas uniquement à Gaza, en Israël ou en Ukraine. Je suis bien au courant des féminicides, des viols, des coups et blessures que des enfants ou des êtres faibles peuvent subir ; des souffrances trop nombreuses, y compris parmi nous à Lacordaire, et aussi des persécutions, des harcèlements, des injures, des trafics de drogue, des réseaux de prostitution, etc… Faut-il allonger la liste ?
Mais est-ce que le monde n’est fait que de cela ? Est-ce que notre société se résume à cette liste noire ? Pensez-vous qu’au temps de la naissance de Jésus, ou encore il y a quelques années, c’était mieux ? Croyez-vous qu’au temps des bergers, des mages et du ravi, tout était parfait ? Pensez-vous, comme affirment tous les vieux, à chaque génération,
« qu’avant c’était mieux » ? C’était peut-être mieux car il n’y avait pas de chaines d’information en continu ou des réseaux sociaux mal utilisés pour nous polluer le cerveau et le cœur. Or, tout ceci existait déjà, malheureusement.
Cependant, à chaque génération, des hommes et des femmes se lèvent et prennent le risque de croire au meilleur, d’agir et de croire en demain. Ils savent que « quand l’étoile semble disparaître, c’est là qu’il faut la fixer pour ne pas la perdre ». Quand on regarde trop son nombril, on est « tête baissée », et on ne voit plus ce qu’il y a devant. Quand on pense trop à soi, quand on se laisse gagner par la peur et envahir par l’angoisse de tout, on ne peut plus avancer. Alors que lorsque qu’on lève la tête, c’est là qu’il y a le plus de chance de trouver une étoile brillante qui nous fait avancer et nous montre les belles choses qui existent. Cela s’appelle l’espérance.
Charles Peguy, en parlant de l’espérance, écrivait
« Une flamme tremblotante a traversé l’épaisseur des mondes.
Une flamme vacillante a traversé l’épaisseur des temps.
Une flamme anxieuse a traversé l’épaisseur des nuits
(…)
Mais l’espérance ne va pas de soi. L’espérance ne va pas toute seule. Pour espérer, mon enfant, il faut être bien heureux, il faut avoir obtenu, reçu une grande grâce. » (5)
Alors, oui, je vous souhaite de recevoir cette grande grâce et d’en témoigner. Je vous souhaite de vous mettre en marche pour chercher et trouver l’étoile et ensuite de vous manifester, tel que vous êtes, avec tout ce que vous portez de beau en vous, tout ce qui fait que nous partageons et vivons de belles choses ensemble à Lacordaire, et j’espère ailleurs.
« De main en main, de cœur en cœur nous devons nous passer la divine espérance » (5).
Pour prendre le pouvoir, il faut se manifester et faire en sorte, ainsi, que ce qui est beau, émerveille le plus de monde autour de soi. Soyons des ravis, c’est-à-dire des personnes capables de reconnaître leur étoile, de s’émerveiller, de repérer les choses belles qui ne sont pas si extra-ordinaires que cela, mais qui sont trop souvent enfouies sous d’immenses tas d’atrocités.
Juste avant les vacances de Noël, une ancienne élève, qui a eu son bac il y a un peu plus de 10 ans m’écrivait ceci :
« Je souhaite organiser mon année professionnelle 2024 autour de projets de bénévolat et d’œuvres caritatives. Je garde un très bon souvenir des heures de catéchisme au Lycée (6) et me demandais si celles-ci étaient toujours au programme des élèves.
Je suis motivée pour participer à n’importe quel autre projet que Lacordaire aurait nouvellement développé ou souhaiterait développer.
Je ressens vivement le besoin d’aider et, ayant réussi à vivre confortablement de ma pratique libérale de kinésithérapie, il est temps pour moi de servir. »
Comment vous dire mon émotion et ma joie de lire ces quelques lignes. Les mots de cette élève me disaient que je n’avais pas témoigné de la devise de notre école pendant 15 ans pour rien… J’avais transmis, avec d’autres adultes de Lacordaire, au moins pour 1 élève, le sens du service, la joie d’aller vers les autres; ce bonheur qui fait vivre malgré tout, malgré toutes les souffrances, au risque de passer pour un naïf, pour le ravi de la crèche.
Comme elle, manifestez-vous ! Et émerveillez-vous !
Jean d’Ormeson, un écrivain français, académicien, décédé il y a un peu plus de 6 ans, écrivait vers la fin de sa vie, en se retournant sur son parcours :
« Il y avait du mal dans ce monde, le sang y coulait à flots, des mères cherchaient leurs enfants au milieu des décombres, l’homme allait peut-être disparaître, victime de son propre génie, et il n’en finissait pas de souffrir. Est-ce que je l’ignorais ? A côté des horreurs qui n’avaient jamais cessé de s’enchaîner les unes aux autres et en attendant les désastres qui ne pouvaient manquer de survenir, il y avait aussi des roses, des instants filés de soie à toutes les heures de la journée, de vieilles personnes irascibles qui laissaient derrière elles un souvenir de tendresse, des enfants à aimer, de jolies choses à lire, à voir, à écouter, de très bonnes choses à manger et à boire, des coccinelles pleines de gaieté sous leur damier rouge et noir, des dauphins qui étaient nos amis, de la neige sur les montagnes, des îles d’une mer très bleue. J’étais plutôt porté à rire et à dire oui qu’aux larmes et à dire non. Plutôt à la louange et à l’émerveillement qu’à la dérision ou à l’imprécation. » (7)
Les Rois mages nous prouvent que nous pouvons avoir les pieds sur terre et les yeux levés vers quelque chose de plus beau, vers une attirance plus forte qui élève le cœur et l’esprit. Le Ravi nous montre que l’on peut avoir les pieds bien tanqués, percevoir les réalités d’en-bas, parsemées de misères humaines, et, en même temps, admirer la beauté du monde, s’élever vers les réalités d’en-haut. Les uns nous invitent à scruter et suivre l’étoile, l’autre, par ses bras tendus vers le ciel, donne la direction de ce vers quoi nous trouverons le bonheur.
Être « Roi mage » ou « Ravi », c’est accepter d’avancer, malgré tout, de s’émerveiller, de revivifier sa vie, de toujours repartir enrichi dans une nouvelle étape de sa vie. C’est ça la « nouvelle année » : c’est décider d’une nouvelle étape de sa vie, c’est se mettre en marche et suivre l’étoile que l’on a volontairement cherchée et trouvée, puis regarder le beau, le bon, le vrai. C’est beaucoup plus qu’une bonne intention ou qu’une bonne résolution un soir de réveillon !
Pour 2024 et le reste de votre vie, je vous souhaite d’être comme les Rois mages et le Ravi, des chercheurs d’étoile, des adeptes de la louange et de l’émerveillement.
Manifestez-vous, témoignez de votre foi, de ce qui vous fait vous mettre en marche et vivre, et vivez de l’Espérance !
Soyez l’exception qui enflamme le monde !
Bonne année à tous !
Pierre-Jean COLLOMB
1.Luc, 2, 8—16
2.Matthieu, 2, 1-2
3.Luc 2, 17
5.Ch. Péguy, Le Porche du Mystère de la deuxième vertu, Édition Nrf Poésie/Gallimard
6.Elle fait allusion aux « Services d’Église »
7.Jean d’Ormesson, C’était bien, Édition Folio